INTERVIEW – Faguo Shoes, entreprise éthique produisant en Chine


INTERVIEW

Frédéric Mugnier, fondateur de Faguo Shoes,

chaussures éthiques produites en Chine

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Frédéric Mugnier et Nicolas Rohr, fondateurs de Faguo Shoes

Faguo Shoes. Le nom de cette jeune start-up résonnera aux oreilles de n’importe quel jeune branché de la capitale, mais aussi à celles des Français qui se trouvent en Chine. En mandarin, « Faguo » veut dire « France ». Une fois qu’on a dit ça, on a rien dit. Parce que Faguo Shoes ne produit pas pour autant en France, mais bel et bien en Chine. « Ouh les vilains jeunes entrepreneurs occidentaux qui exploitent les petits chinois pour produire de la chaussure pas chère et la revendre en France avec une marge très confortable ! »

Du coup, chez Rions Cantonais on a eu envie de se pencher un peu plus sur la question, et de titiller l’un des 2 fondateurs, Frédéric Mugnier, qui a eu la gentillesse de nous accorder une interview skype, à défaut de le rencontrer lors de l’une de ses visites d’usines dans le Guangdong. Alors, vous trouvez qu’il se défend comment ?

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Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter votre propre entreprise ?

Pendant un semestre d’études à Pékin, nous avons été fascinés de voir que les chinois sont tous des auto-entrepreneurs mais à leur niveau : que ce soit des étudiants de notre promotion qui avaient déjà leur propre business ou des petits vendeurs de brochettes à la sauvette qui avait investi dans un minimum de matériel et lancé leur business. Cela nous a donné envie d’entreprendre à notre tour.

A notre retour en France, on décide de se lancer sur le marché de la chaussure on trouvait qu’il y avait très peu d’offres de chaussures type sneakers à un prix abordable pour un budget étudiant. Après avoir réalisé notre étude de marché, de méthode de fabrication, de réseau de distribution, on a dessiné des prototypes qu’on a envoyés dans différent pays tels que le Brésil, l’Argentine, le Portugal et la Chine.

C’est la Chine qui a été la plus convaincante en termes de respect du cahier des charges et surtout du nombre d’aller-retour nécessaires pour arriver à un résultat satisfaisant.

On a d’abord lancé une production de 4700 paires. Aujourd’hui on distribue dans 180 points de vente, et une dizaine de salariés travaillent avec nous. Nous avons des bureaux à Xiamen (Province du Fujian, Chine) et nous faisons produire dans une dizaine d’usines situées essentiellement dans le Guangdong, où l’on peut trouver des petites unités de production parfaitement adaptées à nos besoins.

Comment vous avez déniché les usines qui produisent aujourd’hui les chaussures Faguo ?

Un forum spécialisé dans l’industrie de la chaussure en France nous a permis de trouver beaucoup de nos fournisseurs. Pendant deux ans et demi, on est venus tous les trois mois en Chine, on restait sur place toute la durée du cycle de production, soit environ 1 mois et demi. Maintenant on continue de venir régulièrement visiter toutes les usines où on fait produire.

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Vous avez expérimenté le travail avec les chinois et les conditions de travail en usine en Chine, alors c’est aussi moche qu’on ne le dit ? 

Les chinois ne sont pas malhonnêtes, même s’ils filoutent de temps à autre, tentent de prendre un carton au passage, ils nous envoient l’intégralité de nos commandes. On a choisi d’être transparents, on a même emmené l’émission Capital visiter une de nos usines.

Concernant les conditions de travail en usine on s’attendait à pire : chaque ouvrier pointe à son arrivée et les heures supplémentaires sont sur la base du volontariat. Je vois ça comme quelque chose de carré, l’ouvrier reste tant qu’il y a du travail, est payé pour les heures qu’ il fait et n’est pas surexploité. Aucun enfant ne travaille dans les usines, c’est très réglementé. La police vient faire des contrôles et en cas de non-respect de ces règles, ils sont fortement pénalisés.

En France, on croit toujours que la Chine c’est le No Man’s Land mais c’est faux ! Il y a des règles auxquelles on ne doit pas déroger, par exemple l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans en Chine. Aujourd’hui, à cause de la pénibilité du travail et du caractère excentré des unités de production, le plus difficile pour une usine est de trouver des salariés car même en augmentant les salaires, les jeunes chinois vont préférer aller travailler au Mac Do en ville car même s’ils sont moins bien payés ils peuvent vivre en ville où les conditions de vie sont meilleures.

Par ailleurs, des pays comme le Vietnam, le Laos ou la Malaisie sont bien moins chers maintenant, le secteur du textile déserte la Chine. En plus, il a un gros turnover des ouvriers, après des périodes comme le nouvel an chinois, beaucoup prennent leur salaire et quittent l’usine. Il est facile de trouver du travail en Chine. Mais, les directeurs d’usines ont pour obligation de loger les salariés.

Comment défendre qu’un produit dit de qualité soit fabriqué en Chine ?

Ça me fait rire les gens qui nous demandent pourquoi on fait produire en Chine alors que sur eux ils ne portent que des vêtements fabriqués en Chine. Un étudiant qui doit payer son loyer et tout le reste n’a pas les moyens de s’offrir une paire de chaussures à 600€.

Dans notre secteur, il est plus facile d’assumer une production chinoise car aucune chaussure n’est produite en Europe, on ne peut pas trouver une paire de chaussure mode avec un coût marketing derrière au prix de 50€ produite en Europe.

Des marques comme Lanvin ou Paul Smith font produire leurs chaussures en Chine. Bensimon ne peut même plus produire ne Chine, leur prix de vente est trop bas, ils doivent faire produire dans un autre pays d’Asie du Sud. La seule marque qui se différencie c’est Veja qui se dit éthique et écologique et qui fait produire au Brésil.

Nous on passe par des distributeurs, nous avons notre marge et le distributeur se dégage aussi une marge. On fait vivre beaucoup de gens, on crée des emplois indirects. Cela me rappelle Michel et Augustin qui disaient qu’ils avaient créé 130 000 emplois en France grâce à la distribution de leurs produits. Nous c’est pareil, par exemple, chez Printemps des vendeurs peuvent vivre uniquement grâce à des marques comme la nôtre.

Et pour pouvoir à la fois nous garantir une marge et garantir une marge aux distributeurs tout en offrent un prix correct, la seule solution est de produire à bas coûts.


Votre concept de planter un arbre à chaque fois qu’une paire est achetée n’est-il pas un moyen de se donner bonne conscience ?

Notre génération est très sensible aux enjeux environnementaux, et nous sommes conscients d’avoir un impact sur l’environnement. Nous avons été la première entreprise à établir un bilan prévisionnel de nos émissions de carbone, notre idée d’équilibrer les passifs et les actifs. On s’est dit pourquoi pas compenser ces émissions, et planter un arbre en France pour chaque paire achetée. L’arbre c’est 5% du chiffre d’affaire sur chaque paire de chaussures. En plus, au départ nous étions à 9.2kg de CO2 par paire de chaussures. On est passé à 8.4kg en utilisant des boite en carton recyclé plutôt que des boites en plastique, en privilégiant le transport maritime entre le Havre et Paris.

faguo shoes

Pourquoi ne pas avoir plutôt investi dans un projet solidaire en Chine plutôt que de planter un arbre en France ?

L’acte de planter un arbre n’a rien à voir avec la Chine, c’est une façon pour le consommateur de se sentir proche de cette action et de le faire participer à la réduction de sa propre empreinte écologique. Les exportations depuis la Chine commencent à diminuer car ils n’ont jamais incité les entreprises à acheter les usines, à s’investir davantage, donc les entreprises s’en vont, rien ne les retient. Ma fierté c’est de voir que pendant deux mois complets, 1000 personnes vont travailler sur nos chaussures dans les salles de couture, les chaînes de montage…

Merci Frédéric pour ton témoignage, et longue vie à Faguo Shoes.

Hugo Caffarel et Lila Corre, pour Rions Cantonais