INTERVIEW – Christophe Bilde, un restaurateur français au service des chinois


Cette interview a fait l’objet d’un QUIZZ-CONCOURS, qui permettait à 1 de nos lecteurs de remporter un repas chez Alsace Village, et à 1 autre lecteur une bouteille de vin alsacien.

Le quizz, les réponses et les gagnants ici 


La place de Canton dans la gastronomie chinoise

La région Alsace concurrence le « I LOVE PARIS » en Chine

Les secrets de réussite pour implanter un restaurant occidental en Chine

Le comportement des chinois au restaurant

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Ouverture : Janvier 2010

Lieu : Tianhe East Road, Tianhe District, Guangzhou

Clientèle : 80% de chinois. 25-35 ans. Citadins. Classe Moyenne.

Employés de  bureaux. Génération ouverte.

Nombre de clients : 150 / jour en moyenne

Panier moyen : 150RMB/ personne

Temps passé à table : 40minutes

Gamme de prix des PLATS : De 20Y à 250Y, soit entre 2€20 et 27€

Gamme de prix des VINS : De 250Y à 1300Y, soit entre 27€ et 135€

Équipe : 25 personne dont 3 français (Christophe, et le chef cuisinier)

Investissement : Entre 150 000 et 300 000€

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Horaires d’ouverture : 7j/7, midi et soir.

Site Internet : http://www.alsace-village.cn/

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A quelques jours des fêtes de fin d’année, nos narines sont envoutées par l’odeur du vin chaud lorsque nous pénétrons l’atmosphère de ce restaurant convivial, non sans rappeler celle d’un marché de noël.

Tout juste le temps d’en apprécier un verre ; Et de vous présenter Christophe Bilde, qui dirige l’un des restaurants occidentaux les plus appréciés des chinois:

Christophe Bilde, Restaurateur/Entrepreneur

Christophe Bilde est arrivé à Guangzhou en 2004. Une période d’accueil massif des étrangers, où les demandes de visa de travail n’étaient qu’une formalité. A l’époque, s’installer en Chine était bien plus simple qu’aujourd’hui, dit-il.

Alsacien d’origine, c’est justement en faisant visiter sa région à des fournisseurs chinois que leur curiosité et leur émerveillement pour les richesses de ce terroir lui a donné des idées.  Le marché de noël, l’architecture strasbourgeoise, la route des vins alsaciens, et les villages pittoresques de la région séduisaient ses clients chinois au point de leur faire préférer l’Alsace à la ville de Paris.

Aujourd’hui marié à une chinoise, Christophe est profondément intégré à la population chinoise et aime apprendre à la connaître.

On sent qu’en Chine il y a une place pour nous. C’est dur à expliquer, cette sensation. Mais attention, on sent aussi que le train part maintenant ! Et il ne faut pas le rater

Son leitmotiv en une phrase ?

Je combats cette image du « Paris Je T’aime » qui est encrée dans la mentalité chinoise ! Quelqu’un qui a visité Paris ne connaît pas la richesse des terroirs français !

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L’INTERVIEW


Christophe, que vient faire un restaurant alsacien en Chine ?

Dans le cadre d’une autre entreprise que je dirige, mes clients chinois me confiaient qu’ils regrettaient de ne pas pouvoir apprécier les produits du terroir alsacien en Chine. Mon idée a alors été de créer un restaurant qui rappelle l’architecture des villages et l’ambiance des restaurants alsaciens, et sert une cuisine française. C’est ainsi qu’est né Alsace Village.

Ce que j’aime, c’est recevoir mes clients comme je les recevrais chez moi. Pas de luxe, pas de chichis, pas de cravate, ici c’est plutôt cool et informel.

« Cuisine traditionnelle, française, et de qualité »

Avec Franck Steiner, mon Chef Cuisinier,nous garantissons une cuisine française, traditionnelle, et de qualité. Ce sont des plats que l’on pourrait retrouver dans la cuisine de notre grand-mère. Alsace Village n’est pas un restaurant guindé mais une brasserie gastronomique. Les plats que nous proposons sont un éventail représentatif de la cuisine française.

Le choix est large, en voici un échantillon : soupe à l’oignon, salade césar, crème brulée au foie gras, quiche lorraine, raclette, moules marinières, tartiflette au reblochon, blanquette de veau, cassoulet, ratatouille, paupiette de bœuf, cuisse de lapin, magret de canard au miel et de nombreuses spécialités alsaciennes (choucroute, jarret de porc braisé à la bière etc.) …

Le Menu complet est disponible ici http://www.alsace-village.cn/en/menu.html

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Et ça marche ? 

Pour ne vous donner qu’un exemple, l’accomplissement suprême c’est de voir à la même table une grand-mère chinoise qui mange une flammekueche pendant que son fils et sa femme partagent une raclette, un verre de vin alsacien à la main. Plusieurs générations de chinois autour de mes plats français, c’est ma réussite personnelle.

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Les Chinois sont-ils friands de l’exotisme français ?

La classe moyenne chinoise qui se développe considérablement consacre chaque mois une partie de son revenu à la découverte d’autres cultures, d’autres cuisines. Leur pouvoir d’achat se développe. Le gouvernement pousse dans ce sens.

Et les chinois adorent le dépaysement. Comme ils sont très curieux, les 2 premières pages de notre Menu sont consacrées à une présentation de l’Alsace, de notre concept, et de notre chef cuisinier qui est le garant de la qualité de notre cuisine !

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Pourquoi avoir lancé Alsace Village à Guangzhou plutôt qu’à Pékin ou à Shanghaï ?


Il y a une raison stratégique à cela : quand on réussit à Canton, on peut réussir partout en Chine. Canton et ses 13 millions d’habitants sont le plus gros obstacle à franchir en Chine ! Les cantonnais sont des amoureux de la nourriture. Mais ils sont aussi des gastronomes extrêmement exigeants!

Et pour cause, Guangzhou est connue pour être la ville de Chine où l’on mange le mieux. Dans les autres villes chinoises, la cuisine est moins bonne et plus chère. Ici, ils sont habitués à ce qu’on leur serve de la qualité.

Les cantonais, il faut les servir vite, en quantité et en qualité. Et pour un prix raisonnable, sinon, ils sont mécontents !

Canton est d’ailleurs une des villes chinoises où il y a le plus de restaurants par habitant. Les cantonais ont l’embarras du choix ! Mais moins lorsqu’il s’agit de restaurants occidentaux.

On a coutume de dire des cantonais qu’ils s’habillent mal mais qu’ils mangent bien. En somme, mes meilleurs clients sont souvent les plus mal habillés.

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Comment expliquez-vous la réussite de votre restaurant ? Quels sont vos secrets de réussite ?

Par notre sens du détail, et notre force de frappe marketing ! Les voici, nos secrets de réussite :

Déjà un petit détail : comme vous le voyez, les tables sont côtes à côtes, on peut entendre la conversation des voisins. Le restaurant est bas de plafond pour donner une impression de lieu chaleureux, ce qui crée le bruit de fond d’un restaurant fréquenté.

Mais avant tout, on s’est adaptés à la façon de manger des chinois !

Le repas est un moment très important en Chine. Un contrat se négocie autour d’un repas.  Si on veut se marier avec une femme, on va diner avec la famille. Il y a beaucoup de règles et de coutumes autour du repas en Chine. On a décidé de les respecter, pour attirer cette clientèle chinoise en faisant en sorte qu’elle se sente comme chez elle !

Vous l’aurez remarqué,  dans les restaurants chinois :

–       Tous les plats sont au centre de la table pour les partager

–       Les aliments sont prédécoupés pour faciliter le partage

–       Le menu offre toujours un choix très large

–       Les plats sont peu salés, et servis en bonne quantité

Et bien on a pris le parti de respecter chacune de ces règles dans notre restaurant !

Ca marche donc parce qu’on a misé sur le partage. Les assiettes sont posées au milieu. L’idée n’est pas de manger pour soi, tout le monde goute à tout.

D’ailleurs, pour permettre aux clients de se familiariser aux plats français qu’ils ne connaissent pas forcément, il y a une photo de chaque plat dans le menu. Comme dans la carte de la plupart des restaurants chinois d’ailleurs.

Sans ça, le client chinois commande uniquement ce qu’il connaît et ne prend pas de risque. Nous voulons l’amener à découvrir notre cuisine !

Ensuite, notre logo fait notre force marketing, on le martèle à chaque occasion. Quelques exemples :

1/ Vous savez que les Chinois ont cette habitude d’emporter les restes chez eux. Très bien ! Nous distribuons de jolies Lunch Box floquées à l’image du restaurant à la fin des repas.

2/ On considère l’enfant comme un client très important ! Comme souvent en France, nous proposons un menu enfant, et nous lui offrons un cadeau. C’est rare en Chine ! Pourtant, vous savez combien l’enfant est important en Chine. Si nous gagnons l’affection de l’enfant, nous gagnons celle des parents.

Et enfin, on ne lésine pas sur la qualité !

Typiquement, on s’est équipés d’appareils à raclette TEFAL à 200€ l’unité. Ca coute 4 fois plus cher que les machines chinoises, mais on travaille sur le long terme, et ce restaurant est la vitrine de notre projet futur, donc on ne néglige pas la qualité.

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D’où viennent vos produits ? 

Prenons quelques exemples :

Le Foie Gras : Le foie vient de fermes chinoises, et on le fait nous même !

Le Pain : il est fait maison, avec farine locale

Le Fromage à raclette : C’est la seule chose qui vient de France. On l’importe via Sinodis, qui a l’exclusivité de l’importation de la plupart des fromages en Chine.

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On dit des chinois qu’ils n’aiment pas ce qui est sucré. Il y a quelques temps le pâtissier Lloyd Hamon nous affirmait le contraire (interview à venir). Qu’en pensez-vous ?

Les chinois commencent à commander des desserts mais ce n’est pas encore ancré dans leurs habitudes, contrairement à nous autres français pour qui un repas sans dessert est un repas inachevé.

Seulement 15 à 20% de nos clients prennent un dessert. Le fondant au chocolat est celui qui s’en sort le mieux.

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Qu’en est-il de leur consommation en vin ?

64% de nos clients commandent du vin. Notre carte contient uniquement du vin français, qu’on achète à des importateurs qui connaissent bien nos besoins. Bien sur, on tient à promouvoir le vin alsacien.

Nos serveuses sont formées au service du vin, car aujourd’hui encore il est rare de voir un chinois ouvrir une bouteille de vin correctement dans un restaurant.

Elles sont même commissionnées sur le nombre de bouteilles vendues. A Noël, la meilleure vendeuse de vin chaud remportait un massage pour 2 personnes. Mon objectif ici, c’est « pas un repas sans vin ! ».

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Quel est le plat phare de votre restaurant ? 

La raclette ! Le chinois adore l’appareil à raclette, qui est nouveau pour eux. Il nous demande de lui apprendre comment s’en servir, et reviendra la fois suivante en compagnie d’une femme ou d’un client pour l’impressionner en lui montrant qu’il sait comment cet appareil occidental fonctionne.

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Quel est votre projet à long terme pour Alsace Village ?

J’ambitionne d’en faire une chaine de restauration alsacienne. Tout a été fait pour donner à ce premier restaurant le rôle de vitrine pour attirer des investisseurs afin de développer le même restaurant ailleurs en Chine, optant pour le modèle de franchise.

Le 1er ouvrira à Shenzhen l’an prochain !

J’ai tout pensé sur le long terme. Je n’ai négligé aucun détail, et je ne mens pas sur la marchandise. J’ai décidé de miser sur la qualité à tout niveau.

Vous me dites que notre logo vous avait justement fait penser qu’Alsace Village est une chaine de restaurant, parfait, j’ai tout gagné ! L’image de chaine est un gage de qualité et d’hygiène pour les chinois.

D’après nos estimations, 150 villes sont prêtes à accueillir une chaine de restauration français. Il y a un vrai marché, que nous avons choisi de saisir !

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Craignez-vous de ne pas réussir ?

On peut craindre d’arriver trop tôt sur le marché. L’avenir nous le dira. Mais je n’ai pas trop d’appréhension. Au début, j’avais peur que les chinois ne soient pas prêts à manger ce type de cuisine.  Finalement, c’est une réussite.

Mais je ne laisse rien au hasard, je suis très observateur. Je filme, je relève des chiffres, j’analyse, je teste, je goute. Je m’assieds le soir dans un coin et je regarde ce qui reste dans les assiettes. Quand un client n’a pas aimé un plat je le rembourse ou lui offre un bon d’achat.. J’accorde beaucoup d’importance aux retours clients.

Et puis je discute avec les gens, j’échange. Le fait qu’un client connaisse le patron est très valorisant en Chine. Avoir un ami occidental, ça fait bon genre. Donc il faut jouer ce jeu !

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Quelle est votre opinion sur la Chine ?

Ce pays s’est développé très vite, donc bien sur il y a des problèmes. Les critiques systématiques sur la Chine ça m’énerve.  Il faut donner du temps à construire une démocratie !

On dit de la Chine qu’elle est un pays répressif, je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il y a une autorité légitime compte tenu du nombre de gens à gouverner.

Le taux de chômage est très faible ici, tout le monde travaille ! Certes, les chinois occupent parfois des emplois dont l’utilité est contestable, mais ils ont toujours envie de faire des choses.

Tout n’est pas parfait mais il faut être patient, on ne peut pas demander à la Chine d’être comme la France.